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Entretien

Jean-Pierre Laffez

 À l'occasion de la parution de l’autobiographie de Swami Rama, intitulée « Ma Vie avec les Maîtres de l'Himalaya », aux Éditions Les Deux Océans, J-P Laffez a réalisé un entretien pour Les Carnets du Yoga, la revue mensuelle de l'Union Nationale de Yoga. 

 

Née en Inde, Karina Bharucha est arrivée en France à l’âge de vingt ans pour poursuivre des études supérieures de psychologie. Elle consacre maintenant son temps à l’enseignement du yoga, et à la traduction de livres spirituels et philosophiques dans le domaine du yoga et de l’advaita-vedanta. Elle partage son temps entre la France et l’Inde, habitant à Rishikesh où elle a fondé la première école de yoga francophone en 2015 avec Pierre Bonnasse. Elle vient de traduire « Ma vie avec les maîtres de l’Himalaya », l’autobiographie de Swami Rama publiée aux éditions Les Deux Océans.

I – Karina, pouvez-vous compléter cette présentation et nous dire comment vous avez découvert le yoga et, occupation bien complémentaire, comment vous avez décidé de traduire des livres ?

 

K.B. : J’ai découvert les asanas à l’école, comme tous les enfants indiens, mais c’est vers la fin de l’adolescence que j’ai commencé à m’intéresser aux enseignements spirituels et j’ai commencé à passer du temps avec des enseignants de différentes traditions. Lorsque je travaillais à Paris, j’enseignais et je traduisais le weekend, mais après quelques années j’ai eu envie de me consacrer pleinement à cela, et ça s’est fait naturellement.  

 

II – Comment avez-vous découvert l’autobiographie de Swami Rama ? 

Qui était-il ?

 

K.B. : Swami Rama est un grand maître spirituel indien du XXesiècle, bien connu dans le monde anglo-saxon, peut-être un peu moins connu en France. Il a été élevé par le sage himalayen Bengali Baba et a rencontré des sages comme Ramana Maharshi, Shri Aurobindo, Mahatma Gandhi, Tagore et Ma Anandamayi. Il a également rencontré d’autres sages connus en Inde, comme Neem Karoli Baba, Sombari Baba, la Mataji de l’Assam et Uria Baba, et a été initié aux pratiques yogiques par d’autres grands adeptes. Il s’est même rendu au Tibet pour rencontrer le maître de son maître, entreprenant un trajet périlleux qui a duré plusieurs mois. Il est l’auteur de plus de vingt-cinq publications en anglais et tous ces ouvrages sont des manuels pratiques pour transformer sa vie intérieure. Son autobiographie, publiée en 1978 pour la première fois, est un livre incontournable pour tout chercheur spirituel. Sa vie était une saga d’événements extraordinaires, extrêmes, et parfois contradictoires, mais toujours profonde et joyeuse — et nous avons tous quelque chose à apprendre de sa vie. Quand j’ai découvert ce livre à Rishikesh en 2014, j’étais surprise qu’aucun éditeur français ne l’ait eu publié jusqu’alors. Il a fallu quelques années pour obtenir les droits, et la traduction en français a suivi.

 

III – Parlez-nous un peu plus de Swami Rama.

 

K.B. : Il est né en 1925 dans une famille brahmane sous le nom de ‘Brij Kishor Kumar Dhasmana’ dans la région de Tehri Garhwal de l’Himalaya. Le nom ‘Dhasmana’ est dérivé de ‘Bhasmana’, un nom de la lignée de Gorakshanath, qui signifie « fait de cendres ». Bien avant sa naissance, son propre père, un éminent érudit en sanskrit et un homme d’une haute spiritualité, s’était retiré dans un sanctuaire dans la forêt près de Haridwar pour entreprendre une pratique intensive de méditation, et il avait rencontré Bengali Baba, connu aussi sous le nom de ‘Baba Dharam Das’. Après avoir répondu à toutes ses questions, ce dernier a encouragé le père de Swami Rama de rejoindre son épouse et de faire un autre enfant, qui deviendrait à son tour un disciple de Bengali Baba. Il s’agirait d’une sorte de gurudakshina, l’offrande que l’élève fait à son enseignant suite à une initiation. Swami Rama est né quelques temps plus tard et Bengali Baba est revenu le jour de sa naissance pour dire aux parents du nouveau-né : Rappelez-vous, cet enfant m’appartient. Élevez-le avec amour et quand le moment sera venu, je reviendrai le récupérer. Je suis simplement venu voir l’enfant et vous rappeler qu’il n’appartient à personne sauf Dieu. Ne vous attachez pas à lui. 

Même enfant, Swami Rama ressentait plus d’affinité avec le lieu où il est né qu’avec les membres de sa famille qui l’ont élevé : Pour moi, les montagnes himalayennes sont mes parents spirituels, et vivre là-bas, c’était comme vivre dans le sein d’une mère. L’Himalaya m’a élevé dans son environnement naturel.(…) Ces montagnes étaient mes terrains de jeux. Elles s’étalaient comme des pelouses géantes, comme si Mère Nature en avait personnellement pris soin pour que ses enfants habitant la vallée restent heureux, joyeux et conscients du but de la vie. Il raconte qu’il avait l’impression que ses parents étaient des étrangers et même quand il était petit, il pensait tout le temps à son « maître » Bengali Baba, qui apparaissait dans ses rêves chaque nuit. Il attendait avec impatience le jour où il pourrait partir avec lui. Il se rappelait clairement des détails de sa vie antérieure, et préférait s’asseoir en silence et contempler les mystères de la vie, plutôt que d’aller à l’école. Lorsque ses parents sont morts quelques années plus tard, il est allé vivre auprès de son maître. Sous la tutelle de Bengali Baba, il a reçu une éducation formelle dans les meilleurs établissements scolaires indiens ; mais pendant ses vacances, il parcourait les grottes et les monastères himalayens avec son maître, vivant avec de nombreux saints et sages, qui l’ont initié dans la science et la philosophie yogiquesnon pas à travers des discours et des livres, mais à travers des expériences(…) La voie du renoncement, c’est comme marcher sur le fil du rasoir. C’est si difficile que l’on risque de chuter à chaque pas. Il n’est pas nécessaire de porter les habits d’un renonçant pour atteindre l’éveil. Ce qui importe, c’est la sadhana spirituelle continuelle pour discipliner l’esprit, l’action, et la parole

À l’âge de vingt-quatre ans, il a été nommé Shankaracharya de Karvipitham, l’une des positions spirituelles les plus prestigieuses de l’Inde. Pendant cette période, il a eu un impact considérable sur les coutumes spirituelles de l’Inde – par exemple, il a insisté pour que toute personne, quelque soit sa caste, puisse entrer dans un temple, et il a également encouragé l’initiation des femmes aux pratiques de méditation. Après environ deux années à voyager et à donner des discours, il a constaté que ces responsabilités ne lui laissaient pas de temps pour sa propre pratique, et il s’est simplement échappé de cet endroit-là en 1952, pour s’isoler auprès de son maître dans l’Himalaya. Il a subi beaucoup d’humiliation à cause de cette expérience et quelques rumeurs négatives à son égard ont commencé à courir. Elles ont été attisées davantage quand, quelque temps plus tard, avec la bénédiction de Bengali Baba dont la devise était « Goûte au monde, et puis renonces-y », il s’est marié et a eu des enfants ! Bengali Baba n’a jamais insisté pour que Swami Rama renonce au monde et qu’il devienne « Swami », mais ce dernier est tombé en disgrâce aux yeux de tous ses adeptes car son mariage semblait être en contradiction absolue avec son vœu initial de renoncement. Pendant quelques années, il s’est adonné à la vie de chef de famille, mais la douceur initiale de cette nouvelle vie s’est vite dissipée. Après s’être assuré que sa femme et ses enfants ne manqueront de rien, Swami Rama a pris la décision d’embrasser la vie du renonçant pour de bon. A suivi une longue période consacrée à un entraînement intensif auprès de son maître dans l’Himalaya, d’où il a émergé enfin prêt à venir en Occident pour livrer le message des sages himalayens :Mon objectif, c’est de créer une passerelle entre l’Orient et l’Occident en établissant un centre d’apprentissage d’où je pourrai fidèlement délivrer le message des sages. Avant de quitter l’Himalaya, son maître lui a donné quelques derniers conseils : Le message des maîtres himalayens est intemporel, et n’a rien à voir avec les concepts primitifs de l’Est ou de l’Ouest. La force intérieure, la gaieté, et le service désintéressé sont les principes fondateurs de la vie. Il importe peu que l’on vive en Orient ou en Occident. Un être humain doit être un être humain, avant tout. Se libérer de toutes les peurs, c’est le premier message des sages himalayens. Le deuxième message, c’est devenir conscient de la réalité intime. Sois spontané, et laisse-toi devenir l’instrument qui enseignera la spiritualité pure, au-delà des religions et des cultures.

Avec seulement huit dollars en poche,Swami Rama est d’abord parti au Japon où il a vécu pendant six mois et a enseigné à plusieurs groupes spirituels. Puis il a poursuivi son voyage pour arriver aux États-Unis en 1969. 

 

 

IV – Très riche, ce livre semble avoir été écrit pour les Occidentaux. Tout au long de chapitres courts, s’appuyant sur des exemples ce qui rend la lecture agréable, traitent de réponse aux questions que se posent les pratiquants de hatha yoga.  

 

K.B. : Bien que Swami Rama ait su adapter son enseignement à la psychologie occidental, ce livre a été beaucoup lu et apprécié par les Indiens aussi, notamment parce qu’il a été traduit puis publié en hindi dans les années quatre-vingts. Swami Rama a toujours essayé de faire des liens entre la science occidentale et la spiritualité orientale. Chaque chapitre termine avec un enseignement qui peut répondre aux questions de tout chercheur spirituel, quelle que soit sa tradition, en soulignant des écueils universels comme l’égoïsme, l’orgueil, la malhonnêteté ou la jalousie. Swami Rama nous rappelle aussi que cultiver l’humilité est un pas vers l’éveil. En étant humble, nous gagnons beaucoup et nous ne perdons rien.Quand on commence à marcher sur le chemin de la spiritualité, il est essentiel d’être humble. L’ego crée des barrières, et la faculté de discernement se perd. Si le discernement n’est pas aiguisé, la raison ne fonctionne pas correctement, et il n’y a pas de clarté d’esprit. Un esprit obscurci n’est pas un bon instrument sur le chemin de l’éveil. En racontant avec humour ses propres expériences,il s’adresse aux pratiquants du yoga, comme dans le chapitre Un mantra pour le bonheuroù il dit : Je collectionnais des mantras comme d’autres collectionnent des objets matériels, espérant que le nouveau mantra que j’étais sur le point de recevoir était meilleur que celui que je possédais déjà. J’étais très immature. Je qualifie cela de folie spirituelle. Puis il raconte comment il a rendu visite à un swami qui l’a fait patienter pendant plusieurs jours, avant de lui donner le mantra suivant : Peu importe où tu es, vis joyeusement. Voici le mantra. Sois joyeux à tout moment, même si tu te trouves derrière les barreaux. Où que tu vives, même si tu dois aller dans un endroit infernal, crée un paradis là-bas. Swami Rama dit qu’il a appliqué ce mantra à toute sa vie et qu’il l’avait trouvé efficace en tout lieu.  

 

V – Un chapitre peut interpeller, par exemple l’apparition du maître à des distances quelques fois très grandes. Que pouvez-vous nous en dire ?  

 

K.B. : Ce type d’expérience est également décrit dans d’autres ouvrages à propos de Yogananda, Sri M, Neem Karoli Baba, et tant d’autres. Je dirais que ces expériences sont le résultat de certaines pratiques yogiques permettant de développer des pouvoirs occultes ou siddhis, et que ceux qui n’ont pas eu ce type d’expériences directement doivent simplement les comprendre comme des expériences « spirituelles » ou « mystiques ». Je dirais aussi qu’il ne faut pas non plus prendre tout ce qui est raconté au premier degré… (rires) Swami Rama était lui-même parfois surpris par ce type d’expérience, comme lors de sa visite dans la Vallée des Fleurs où il raconte avoir perdu toute notion de son existence et des choses qui l’entouraient pendant une semaine. Bien que parfois impressionné par des siddhis, on lui avait appris à cultiver du discernement face à ce type de démonstration. Comme dans le chapitre où il a rencontré un swami cracheur de feu, à qui il avait fallu vingt ans pour maîtriser cette technique et qui était très fier de son accomplissement. Quand Swami Rama avait songé quitter son maître pour suivre ce swami cracheur de feu, Bengali Baba lui avait dit : Une allumette peut générer du feu en une seconde ; si tu souhaites passer vingt ans à apprendre à générer du feu de ta bouche, alors tu es un idiot. Mon enfant, ceci n’est pas de la sagesse.  Swami Rama a lui-même été critique envers les yogis qui avaient tendance à réaliser des prouesses surnaturelles pour prouver leur éveil — Plus tard, je me suis rendu compte que de tels siddhis ne sont que des balises sur le chemin. Ces pouvoirs n’ont rien à voir avec la spiritualité. J’ai découvert plus tard, après avoir examiné et expérimenté ces pouvoirs psychiques, qu’ils ont peu de valeur. Ils peuvent au contraire constituer de sérieux obstacles sur le chemin. Parfois des pouvoirs psychiques se révèlent : vous commencez à prédire l’avenir des autres, ou vous commencez à savoir des choses. Ce ne sont que des diversions. Quiconque veut développer des siddhis peut le faire, et peut faire la démonstration d’exploits surnaturels ; mais l’éveil est une tout autre affaire. Il croyait en la capacité de chaque individu de parvenir à un état de paix sans l’aide d’une religion organisée.

 

VI - Actuellement qu’en est-il de cet enseignement, des ashrams, en Occident et à Rishikesh.

 

K.B. : Swami Rama a fondé le Himalayan Institute of Yoga Science and Philosophy en Pennsylvanie en 1971, où sont dispensés, même de nos jours, divers programmes et services éducationnels, ainsi que des outils pour le yoga, la méditation, le développement spirituel et la santé holistique. Il a également créé un centre international de méditation à Rishikesh et un centre médical à Dehradun, dans le nord de l’Inde. À Rishikesh, il y a également un ashram magnifique dédié à lui, Sadhaka Gram, qui a été fondé en 2002 par l’un de ses disciples éminents, Swami Veda Bharati. 

 

VII – Pour terminer cet interview, Rishikesh apparaît comme le lieu du yoga, qu’en est-il à l’heure actuel.  

 

K.B. : Situé sur le chemin où les routes vers les sanctuaires himalayens se croisent, Rishikesh a toujours été et sera toujours un lieu spirituel et sacré cher aux cœurs des chercheurs de Vérité depuis des millénaires. Même si la ville s’est beaucoup développée ces dernières années, même si elle s’autoproclame « la capitale mondiale du yoga » et compte plus de trois cents ashrams et « écoles de yoga » aujourd’hui, il suffit d’aller s’asseoir au bord du Gange, en silence, avec un sentiment d’amour et d’humilité, pour goûter au yoga plutôt que de vouloir en « faire ». 

Hari Om !   



 

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